Quomodo Vales ?

Wednesday, October 25, 2006

Chirac : un portrait vraiment sans arrière-pensées ?

Le film-documentaire consacré à Jacques Chirac par France 2 lundi et mardi soir en prime-time ne laisse pas indifférent. L'auteur y retrace la carrière politique de celui qui préside aux destinées de la France depuis une dizaine d'années. On y voit un homme qui, pendant quatre décennies d'une vie politique bien remplie, s'est consacré avec un soin méticuleux à un objectif ultime à savoir la conquête du pouvoir suprême.
Personnellement, j'ai suivi ce documentaire-événement avec un vif intérêt, tant l'homme paraît fascinant et complexe.
L'oeuvre nous présente un homme aux multiples facettes, son parcours jalonné de victoires éclatantes mais aussi des échecs, dont certains d'ailleurs, cuisants, auraient pu le conduire voire le maintenir au fond de l'abîme. Il n'est pas besoin dans cette réflexion d'évoquer les unes ni les autres.
Cependant, ce n'est pas dans la nature du personnage de renoncer ou de se laisser abattre. Il a toujours su, à chaque coup dur, rebondir avec davantage d'énergie qu'auparavant, suscitant l'admiration de tout le monde y compris de ses adversaires politiques les plus acharnés.

Brièvement, l'auteur se penche d'abord sur ses premiers pas en politique. Voilà un jeune-loup très ambitieux, oeuvrant sans relâche à la conquête du pouvoir. Du local, en Corrèze, il arrive rapidement au national où il va occuper successivement les fonctions ministérielles de manière quasi ininterrompue.
Ensuite, il nous présente un homme d'état confirmé qui reçoit des coups mais qui en donne aussi! Un Jacques Chirac accèdant enfin à son objectif ultime, grâce non seulement à sa ténacité mais également à un important réseau d'amis et de collaborateurs efficaces. "Chirac est un homme de réseaux", confie un témoin! Vers la fin, le docu parle d'un homme mystérieux. Le mot "corruption" n'est pas ouvertement prononcé, mais en lisant entre les lignes et à travers les témoignages reccueillis auprès des détracteurs du Président, on ne peut ne pas se poser des questions sur le sens d'une telle diffusion.

Un portrait ou un réquisitoire pour le Président?

Ce docu est le premier d'un chef d'Etat en exercice. C'est une grande première. A six mois de l'échéance du mandat cela a de quoi étonner...
S'agit-il d'un choix éditorial objectif? Pourquoi n'a-t-on pas agi de la même façon avec Mitterrand, Pompidou et De Gaulle? Le bilan d'un homme politique en fonction doit-il être dressé avant le terme de son mandat? S'agit-il de pousser l'homme vers la sortie en donnant du grain à moudre à ses adversaires politiques? Pourquoi les collaborateurs actuels du Chef de l'Etat n'interviennent-ils pas dans ce documentaire, à l'exception de Nicolas Sarkozy qui est en croisade contre le Chef de l'Etat depuis une décennie?
Autant de questions auxquelles seuls l'auteur et la chaîne peuvent apporter des réponses appropriées.

A mon avis, l'auteur et le diffuseur auraient beaucoup gagné en crédibilité en proposant le film après le mandat de l'intéressé. Il aurait été plus judicieux de le diffuser après les échéances électorales afin d'éviter toute tentation facile de manipulation au profit de l'un ou l'autre des candidats à l'Elysée. Et s'il se représentait -l'hypothèse n'est pas farfelue bienque j'y crois pas trop- et qu'il gagnait! Oui, vous me direz qu'il serait réactualisé. Il faudrait le remettre au goût du jour.
J'ose croire qu'il n'y a pas d'arrière-pensées électoralistes chez l'auteur, mais la part laissée à Nicolas Sarkozy dans le docu ne manque pas d'interpeller.
Le futur candidat à la succession de Jacques Chirac à l'Elysée y est présenté largement (innocemment?) à son avantage. L'auteur y évoque à peine sa trahison vis-à-vis de Chirac. A chacune de ses interventions, c'est un jeune loup qui possède des prédispositions à assumer des responsabilités, un homme politique qui se saisit de l'aubaine pour placer ses idées et lancer quelques piques à son ex-mentor. Dans l'absolu ce n'est pas choquant qu'il ait des positions discordantes avec le Président, mais connaissant sa situation de présidentiable déclaré, cela sonne mal qu'il intervienne dans le documentaire et qu'il y soit présenté comme son successeur potentiel.
Pourquoi un tel traitement n'est pas réservé à Dominique de Villepin, ou à Alain Juppé, Michèle Alliot-Marie, Jean-Pierre Raffarin, actuels collaborateurs du chef de l'Etat? Sans doute parce qu'ils sont fidèles parmi les fidèles de celui-ci et que de ce fait leur opinion ne peut être objective? Et pourquoi Jacques Chirac lui-même est absent de "son" portrait?

Bref, ce documentaire suscite beaucoup plus de questions qu'il n'apporte de solutions. A ceux qui voulaient connaître l'actuel locataire du Palais de l'Elysée, je pense que le documentaire leur laisse un homme politique complexe, "beaucoup plus complexe que Mitterrand", à en croire Philippe Séguin.
En tous les cas, on aura compris une chose. Jacques Chirac présenté comme un homme sans intelligence, "bavard et nerveux" selon l'auteur, est plutôt quelqu'un de très perspicace, un homme généreux, chaleureux, aimant la belle vie, mais habile calculateur aussi, à la rancune tenace, vis-à-vis des traîtres (Sarko, Balladur, Pasqua...), un communicant hors norme sachant où il va, ce qu'il veut et qui ne manque pas de se donner les moyens d'arriver à ses fins.
Ce qui en fait un animal politique redoutable. Ses adversaires l'ont appris à leurs dépens. On ne peut ne pas admirer sa longévité politique.